Reprise de l’article initial : « Web3 Compliance Research | Recherche sur la conformité Web3 ? Réflexions sur les dilemmes réglementaires internationaux et les stratégies de survie de Polymarket ! »
Les instituts de sondage traditionnels américains n’avaient jamais envisagé d’être remplacés, non pas par l’intelligence artificielle, mais par un marché prédictif Web3. Pour l’élection présidentielle américaine de 2024, les données des instituts donnaient Harris largement favorite face à Trump. Or, sur Polymarket, les prévisions divergeaient fortement : la probabilité de victoire de Trump y était constamment supérieure à celle de Harris. Lorsque Trump a finalement largement battu Harris et remporté l’élection, la prédiction de Polymarket s’est avérée juste, propulsant la plateforme dans l’espace public.
Derrière l’essor fulgurant de Polymarket, les exigences de conformité et la pression réglementaire restent les principaux obstacles à sa croissance. Face au renforcement de la surveillance des régulateurs dans le monde, Polymarket a tracé sa propre voie en matière de conformité. Cet article propose une analyse approfondie du cadre réglementaire de Polymarket, des risques de conformité et des solutions, avec un éclairage d’experts sur le Web3 et la régulation internationale, afin d’offrir aux porteurs de projets Web3 des enseignements applicables.
(CNN relate l’ascension de Polymarket en tant que marché prédictif lors de la présidentielle américaine)
Lancé en 2020, Polymarket est un marché de prédiction Web3 de nouvelle génération, reposant sur la technologie blockchain, reconnu pour sa transparence et sa décentralisation. Depuis sa création, il s’impose comme chef de file du secteur. Polymarket couvre une gamme exceptionnelle d’événements, de la politique mondiale aux marchés financiers, en passant par le sport et la culture. Cette étendue attire un large public, tout en compliquant la qualification réglementaire selon les pays. Sur Polymarket, les utilisateurs anticipent les résultats en achetant des jetons spéciaux propres à chaque événement ; ces jetons s’échangent dans une fourchette de 0 à 1 dollar, le prix reflétant la perception collective en temps réel de la probabilité de chaque issue.
L’innovation phare de Polymarket consiste à transformer la prédiction abstraite en actif numérique, pouvant être valorisé, négocié et monétisé : les utilisateurs tirent ainsi profit directement de leur expertise. Lors de l’élection 2024, par exemple, le jeton « Trump gagne » a grimpé de 0,30 $ à 0,92 $, pour atteindre 1,00 $ à l’annonce officielle du résultat. Cette évolution de prix a parfaitement anticipé le revirement de l’opinion publique, générant des plus-values significatives pour les pronostiqueurs les plus perspicaces.
L’essor rapide de Polymarket dans les marchés de prédiction Web3 a séduit des investisseurs majeurs. Deux levées de fonds ont permis à l’entreprise de récolter plus de 70 millions de dollars, parmi lesquels figure Vitalik Buterin, cofondateur d’Ethereum, et le fonds Founders Fund de Peter Thiel.
Les premières difficultés de Polymarket aux États-Unis découlent de l’action de la Commodity Futures Trading Commission (CFTC). En janvier 2022, la CFTC a condamné Polymarket à 1,4 million de dollars d’amende et prononcé un ordre de cessation d’activité. Selon le Commodity Exchange Act, la CFTC a jugé que les contrats proposés par Polymarket entrent dans son domaine de régulation, lequel couvre notamment les marchés à terme, les options et les swaps.
Dès lors que les utilisateurs peuvent parier sur des résultats d’élections, des données économiques ou autres événements, la CFTC considère ces instruments comme des options binaires ou des swaps, relevant ainsi exclusivement de son autorité sur les dérivés. Autrement dit, elle assimile les contrats événementiels de Polymarket à des produits dérivés financiers, et non à des jeux d’argent, reprochant à la plateforme de fonctionner comme une bourse de dérivés non enregistrée, sans statut de Swap Execution Facility (SEF) ni Designated Contract Market (DCM) exigé par la loi.
(Section 1a(10) du Commodity Exchange Act : définition du « Commodity Pool »)
Les marchés de prédiction tels que Polymarket sont aussi confrontés à une rivalité réglementaire entre autorités fédérales et locales. Si la CFTC revendique une compétence exclusive au niveau fédéral, certains régulateurs d’État qualifient ces marchés de jeux illégaux et poursuivent en justice. Le 27 mars 2025, la Division of Gaming Enforcement du New Jersey a ordonné à Kalshi, concurrent de Polymarket, de cesser ses activités pour offre de paris sportifs sans licence.
Kalshi a alors engagé un long combat juridique contre les autorités locales. S’il a obtenu du juge Edward Kiel que les événements sportifs proposés relèvent bien de la compétence fédérale de la CFTC et a fait suspendre l’intervention des régulateurs du New Jersey, ce type de friction État-fédéral demeure non résolu. Cette dualité complexifie le cadre réglementaire des marchés de prédiction américains et accroît leur imprévisibilité.
L’agrément fédéral n’exclut donc pas le risque de contentieux local pour les plateformes comme Polymarket. Ce double niveau de régulation alourdit les coûts de conformité et ralentit l’expansion nationale.
(Injonction préliminaire octroyée par le juge Edward Kiel sur requête de Kalshi contre la division locale des jeux)
(Texte original de l’injonction préliminaire)
Polymarket est également confronté à une surveillance accrue hors des États-Unis. Dans l’Union européenne, le règlement Markets in Crypto-Assets (MiCA) fixe des exigences aux fournisseurs de services sur crypto-actifs (CASP), incluant les tokens adossés à des actifs, les jetons de monnaie électronique et autres crypto-actifs hors précédent cadre légal. MiCA ne traite toutefois pas des marchés prédictifs, laissant chaque pays libre de les réguler comme jeux d’argent. Malgré le régime d’agrément unique MiCA, les plateformes sont donc soumises à des contrôles disparates partout en Europe.
Entre novembre 2024 et janvier 2025, plusieurs autorités européennes ont agi contre Polymarket. L’autorité suisse des jeux a ainsi inscrit Polymarket.com sur sa liste noire le 26 novembre 2024 pour infraction à la législation locale sur les paris. Le 29 novembre 2024, l’Autorité Nationale des Jeux (France) a annoncé que Polymarket accepterait le blocage IP pour les utilisateurs français, suite à l’inquiétude suscitée par ses « produits de jeux ». On rapporte que de gros paris sur l’élection américaine par un trader français ont motivé le contrôle. Enfin, le Ministère polonais des Finances a bloqué Polymarket le 8 janvier 2025 pour activité de jeu illégal.
En résumé, les autorités européennes se montrent très prudentes envers les marchés prédictifs, les assimilent à des jeux de hasard, et imposent des restrictions strictes.
À Singapour, la réglementation croise le Payment Services Act et le Gambling Control Act 2022, encadrant Polymarket tant du point de vue financier que du risque social. L’autorité monétaire singapourienne applique le Payment Services Act aux prestataires de tokens de paiement numérique, jugeant Polymarket non agréé, exposé à des risques accrus en matière de LBC/FT et défaillant sur la protection des investisseurs ou la résolution des litiges.
Par ailleurs, l’autorité de régulation des jeux a classé Polymarket en site de jeux illégal au sens du Gambling Control Act 2022 et en a bloqué l’accès. Seuls les opérateurs agréés (ex. Singapore Pools) peuvent proposer des jeux d’argent en ligne. Polymarket doit donc surmonter un double obstacle : obtenir une licence pour les services sur token de paiement numérique et se conformer à une interdiction stricte des jeux d’argent.
(Notification officielle de l’autorité singapourienne de régulation des jeux après blocage de Polymarket)
Ce panorama mondial illustre une fracture profonde dans la régulation des marchés de prédiction : entre cadre financier et cadre des jeux. Aux États-Unis, la CFTC les considère comme contrats événementiels à valeur de découverte d’information et de gestion du risque, mais impose des obligations : enregistrement, procédures KYC/LBC et reporting. À l’inverse, Suisse, France, Pologne et Singapour les qualifient de jeux illicites et les bloquent, cherchant à limiter la spéculation, protéger la société et préserver la morale publique, sous des régimes très stricts.
La plus grosse difficulté pour Polymarket réside dans l’absence d’harmonisation internationale, obligeant à adapter la conformité à chaque pays, ce qui accroît fortement la complexité et les coûts. Ces divergences traduisent l’équilibre délicat des régulateurs entre innovation financière, protection des consommateurs et éthique sociale.
Polymarket a répondu aux sanctions de la CFTC en jouant la carte de la transparence, du dialogue et de la coopération, ce qui lui a permis d’obtenir une amende modérée. En janvier 2022, la société a trouvé un arrangement, reconnu que certains de ses produits relevaient des options binaires régulées par la CFTC et accepté de verser 1,4 million de dollars.
L’accord imposait à Polymarket de fermer l’accès aux utilisateurs américains et de mettre en œuvre le blocage IP dès 2022, avec un déplacement des opérations principales à l’international pour limiter le risque réglementaire local. Toutefois, certains utilisateurs américains ont contourné le blocage via VPN, témoignant de la limite de la mesure et d’une forte pression de la demande.
Pour préparer son retour sur le marché américain, Polymarket a nommé, en mai 2022, J. Christopher Giancarlo — ancien commissaire de la CFTC — président de son comité consultatif, capitalisant sur sa connaissance réglementaire et de l’infrastructure des marchés. Le recrutement d’anciens régulateurs est monnaie courante dans les secteurs de la finance et de la santé américains.
En novembre 2024, Polymarket est de nouveau confronté à des difficultés de conformité lorsque le FBI perquisitionne l’appartement new-yorkais du CEO Shayne Coplan et saisit du matériel informatique, sans arrestation. L’enquête porte sur le respect de l’accord avec la CFTC, notamment la prévention des transactions de clients américains via VPN.
Avec la prise de fonction de l’administration Trump et une politique plus favorable à la crypto, la situation réglementaire de Polymarket aux États-Unis évolue. Le 15 juillet 2025, le DOJ et la CFTC clôturent officiellement leurs enquêtes, levant plusieurs années d’incertitude et de risques.
Polymarket rachète alors QCEX — bourse dérivée agréée CFTC — pour 112 millions de dollars le 21 juillet 2025. Shayne Coplan, CEO, présente cette acquisition comme un tournant, offrant à Polymarket un cadre pleinement régulé. QCEX avait obtenu sa licence DCM le 9 juillet 2025 ; l’acquisition est finalisée douze jours plus tard. Grâce à la licence QCEX, Polymarket peut légalement opérer aux États-Unis, ce qui met en suspens les craintes de conformité.
Derrière cette solution apparente, Polymarket a dû consentir à des ajustements majeurs. Abandonnant le modèle KYC/LBC minimaliste — associé à l’anonymat et à la décentralisation — qui avait assuré une croissance rapide, elle doit désormais se conformer aux protocoles stricts de la CFTC suite au rachat de QCEX.
Les exigences incluent l’identification client (CIP), la diligence (CDD), la diligence renforcée (EDD), la surveillance continue et la déclaration des activités suspectes. Ce changement marque la transition du Web3 décentralisé vers les services financiers régulés, Polymarket cherchant l’équilibre entre innovation et conformité.
À l’étranger, Polymarket opte pour la prudence. Face aux qualifications en jeu d’argent et aux interdictions en Europe et à Singapour, la plateforme a volontairement mis en place le blocage géographique pour les utilisateurs concernés et s’est retirée de ces marchés sans confrontation.
L’analyse du parcours de conformité de Polymarket livre aux fondateurs et équipes Web3 des enseignements majeurs :